Contraste Méridional
Commissaire d’exposition Tiago de Abreu Pinto assisté par Justine Gensse
Néphéli Barbas, Julien Bourgain, Louise Mervelet, Flore Saunois
Vernissage : vendredi 28 août, 17h.
Performance de Janna Zhiri sur une invitation de Louise Mervelet : vendredi 28 août à 18H30
Exposition du samedi 29 août au dimanche 1er novembre, 2020
Friche la Belle de Mai, Salle des Machines
41 rue Jobin, 13003 Marseille.
(Quelques minutes avant une rencontre de bon augure – saisie par le soleil brûlant d’août.) Nous sommes arrivés vers le lieu d’exposition, où nous avions prévu de voir les travaux de quatre jeunes artistes qui ont étudié dans le sud de la France : « Méridionaux », ai-je lancé sur le ton de la comédie, et elle de me demander ce qui les réunissait. Les vagues s’écumaient par nœuds de relations innombrables qui se pressentaient dans la mer aux alentours. « Un soleil chaleureux s’égayait sur la mer », me suis-je rappelé. Dans certains pays, que ce soit dans les rues ou dans les lieux d’art (comme celui dans lequel nous nous trouvions) n’y avait-il une âme en vue. Il y avait une sensation unanime d’inhospitalité. Mais ici, à Marseille, les choses s’amélioraient. Je me trouvai telle une personne différente, d’une décennie ensevelie, lorsque je répondis « qu’est-ce qui nous réunissait ? ». Le silence qui s’installa ne me surprit guère puisque c’était le genre de question qui suscitait une réponse différente chaque jour. Il me semblait que personne ne se sentait vraiment à sa place. « Le contraste », ai-je dit soudainement. « Pardon », répondit-elle avec un sourire en coin. Avant de franchir le seuil de l’exposition, je lui dis que les artistes contrastaient les un·e·s avec les autres. « Leurs pratiques, par contraste, mettent en lumière les différences », ai-je dit posément. « Par exemple, il existe un net contraste dans la quantité d’éléments que chaque artiste a décidé de présenter à l’occasion de cette exposition. Je veux dire… la manière dont les œuvres sont présentées ». Après un court instant, elle rétorqua : « comment ça ? ». Je me déplaçai dans l’espace, en insistant sur le contraste immédiat qui se déployait dans ce collectif à travers des positions singulières. Nous croisâmes Louise, et une question me vînt à l’esprit. « Le projet que je présente est très baroque. Le sentiment que je souhaite transmettre au public découle d’une expérience généreuse. Il s’agit d’un sentiment d’hybridation puisqu’il y a des dessins, des sculptures, une vidéo et des gestes multiples ». À ce moment, elle relie le travail de Louise à un projet politique. Du moins, la possibilité d’un engagement politique existe. Alors, elle demanda à Louise comment elle concevait la portée politique de ses travaux. « Eh bien dans ce cas, on peut parler de quelque chose d’impure. D’impureté », répondit Louise. Ensuite, nous parlâmes de l’abondance de références, de la science-fiction aux jeux vidéo, qui se révélait dans la viscosité quant aux jeux de couleurs et de formes. Sa posture trahissait l’effort de sa concentration, elle distingua alors la présence de matériaux pauvres. « Oui », répondit Louise, « on peut constater que les matériaux que j’utilise sont très cheap mais comme je travaille avec chacun de ces éléments, ils deviennent précieux d’une certaine manière. Donc, il y a une ambiguïté. » Elle observa l’œuvre d’art. « Dans mon travail, je laisse grande place à l’imagination. Le côté pop émane de cette atmosphère où j’aime manipuler différents codes visuels. » Peu de temps après, je croisai le regard de Flore et j’ai donc pensé qu’il serait intéressant d’envisager un lien entre ces deux extrémités. « Une approche artistique opposée pourrait être celle de Flore », en les présentant l’une à l’autre. Elle était curieuse d’en savoir plus sur l’économie de moyens que nous étions en train d’observer. « Hmm. J’ai réfléchi à un mot qui me semble pertinent pour décrire mon projet : latence », temps d’arrêt. Ce mot résonnait profondément à travers nos pensées, tandis que son rythme palpitait en arrière-plan. « Tous ces objets sont, en quelque sorte, dans une situation d’attente. Ils se tiennent là, ici, prêts à recevoir. » Nous nous demandions ce que ces éléments recevaient et juste après que ses paroles furent prononcées, elle nous expliqua que les objets, les mots se chargent de nos vœux et de nos désirs. « Et tout est lié avec l’étendue des possibilités qui s’offrent à nous », conclût-elle. Nous ne disions plus rien. Mieux encore, le tout se déroulait mentalement. Nous étions en train de voir à travers les yeux de notre esprit tout ce qu’il tout ce qu’il se passait autour de nous ; tout ce paysage mathématique. « Les œuvres parlent du hasard et de la probabilité. Comme par exemple le dé ou la performance », déclara Flore. Et à vrai dire, la performance était absente. Inutile de dire que nous étions immédiatement entrainés vers un nouveau territoire mental. « Donc les gens auraient la liberté d’envisager ce qu’ils souhaiteraient mettre en jeu », poursuivit Flore, « et à travers ce geste mineur, je leur tendrai un dé qui ne tombera sur aucun nombre spécifique. » A partir de là, des jacassements se sont mis à encombrer nos esprits, sondant la manière dont cette action laisserait les possibilités ouvertes et se glisserait à nouveau dans ce courant de pensée ; projetant nos désirs dans le champ des possibles. « Nous nous demandons toujours quels sont les envers d’une situation » dit Flore lorsque la lumière cramoisie du soleil inonda l’espace. Je pensais à un autre envers de cette exposition : Julien assis·e près des écrans, à côté d’une version plus jeune qu’iel au milieu des couleurs harmonieuses d’une terre habitée. Iel était seul·e dans ces images. « L’idée principale est de raconter comment, à ce moment-là, j’essayai de faire les choses touste seul·e ». Une coupe de cheveux comme le fil rouge de l’histoire, le corps de Julien oscille, flotte au risque d’embellir, de contredire le paysage avec un objet choisi. Comme les chapitres d’un livre qui peuvent être lus à l’envers, dans n’importe quel sens de lecture que l’on pourrait imaginer. « Je raconte ces expérimentations et ces gestes avec des actes performatifs », iel dit en montrant chacune des images filmées, « nourris par l’urgence de la performance. Et ces actes ont été transformés en films. C’est le grand voyage d’un personnage à travers un paysage ». Un personnage enclin à la contemplation ; beaucoup de contemplation. Le rendu semble statique mais hypnotique pour ainsi dire. Avec une certaine candeur dans ses yeux, iel continua « après avoir fait beaucoup de performances par moi-même, j’ai compris, petit à petit, que je ne pouvais pas faire toutes ces choses seul·e. J’ai besoin de gens. » Qu’est-ce qui nous réunissait ? Je suppose que c’était ce penchant à vouloir être ensemble. Nous nous sentons si détachés de nos jours. Je pensai à la manière dont la solitude de Julien au milieu de cet environnement résonnait avec notre époque. Et la manière dont sa relation avec l’environnement était différente de celle de Néphéli, qui prenait chaque élément architectural du décor urbain pour les assembler avec un style empreint de rêverie. Cependant, tel le voyageur à pied, tous deux soupçonnent et analysent leurs environnements ; attisant certainement le soupçon des habitants des quartiers voisins. Qui ne serait pas intrigué par les performances de Julien, en lia rencontrant lors de ces actes ? Nous avions remarqué que son corps restait immobile alors que, par contraste, Néphéli essayait d’aborder la façon dont les éléments architecturaux de la vie quotidienne entraînaient nos corps dans différentes directions. « Même les dessins », Néphéli raconta, « sont cachés par des grilles sculpturales accrochées aux murs. Ainsi, ces éléments sculpturaux que je conçois de manière organique avec des tuiles, des pierres, du béton, peuvent nous interdire l’accès à un espace de manière autoritaire. Ou bien, ils peuvent nous permettre de discerner certaines caractéristiques d’une installation. Je pense que j’en parle parce que je sens que les choses vont mal ». Surtout de nos jours, ai-je pensé, lorsque nous passons la plupart de notre temps à déambuler dans les sombres ruelles de nos esprits. Au vu de tout cela, une sensation de contraste m’a traversé (loin d’un sentiment désespéré), éludée par ces artistes. Je suis resté un certain temps à regarder ces œuvres qui stimulaient l’imagination. La lueur à travers l’isolement que j’avais vécu, m’a fait réaliser l’importance d’être ensemble à l’intérieur de la foule. Cela éclaira la façon dont travailler avec un groupe de personnes nous apporte une effervescence baroque. Comme une marée basse de liens avec l’espace publique nous rappelle toutes les possibilités que l’avenir nous amèneraient, nous prendrait, pour finalement nous ramener quelque part. Comme je projetterais des maquettes mentales de l’espace extra-atmosphérique avec de maigres fragments de ruissellements provenant de divers environnements. Comme le désir de se renouer à cette mer dans laquelle nous sommes, permet aux éléments dissemblables de coexister. Une expérience qui indique beaucoup de relations à travers des « écumes fécondes » de collectivité, qui enveloppent les implications rigoureuses et fortes du courant de nos contrastes actuels.
Lors de l’ouverture de l’exposition, Louise Mervelet invite Janna Zhiri pour une courte performance aux allures de conte de fées pop.
Tiago de Abreu Pinto
@tdeap