Showroom Prix Région Sud Design 2025

Dans la lignée du Prix Région Sud Art, a été crée en 2022, le Prix Région Sud Design afin de mettre la lumière sur de jeunes designers du territoire et participer à leur professionnalisation. Les designers sélectionné·es par un·e commissaire présenteront leur travail dans un espace dédié durant Art-o-rama.

 

Le·la lauréat·e sélectionné·e par les exposant·es de la section Design pendant Art-o-rama bénéficiera d’une bourse de production de 2000€ ainsi que d’un espace d’exposition spécifique durant la prochaine édition du salon.

 

En 2024, Zoé Saudrais a été lauréate du Prix Région Sud Design, elle sera exposée dans la section Edition & Design en 2025.

 

Camille Lamy – Commissaire 2025

Camille Lamy est designer, commissaire d’exposition, enseignante à l’EESAB Brest et chercheuse au sein du Laboratoire sauvage Désorceler la finance. Elle travaille sur l’agentivité du design et plus spécifiquement des objets de lutte.

 

 

Designers & studios sélectionné·e·s pour le Showroom 2025

* Textes de Camille Lamy

 

Cloé Berthon — RAEIRO, traversée chromatique

Le travail de Cloé Berthon navigue entre lumière, couleur et langage. Avec RAEIRO, projet de design graphique qui se matérialise en une installation déployée dans l’espace, elle réalise une œuvre délicate où la couleur devient mémoire, la typographie devient filtre et l’installation un seuil sensible entre deux géographies : Paris et Marseille.

 

Partie d’un manque — celui du sud, de la lumière chaude qui enveloppe les pierres et traverse les paupières — RAEIRO tente de rapprocher les pôles. Cloé Berthon capture la lumière non comme phénomène physique, mais comme phénomène affectif : ce que la lumière provoque, ce qu’elle révèle de nous, ce qu’elle retient dans sa couleur. Le processus débute dans la captation chromatique de la luminosité des deux lieux, tous les jours à midi, la lumière bleue, froide et crue de Paris, et la lumière orangée, chaude et écrasante de Marseille. De cette captation se déploie le langage, la traduction, le nuancier qui qualifient ce que l’œil observe tantôt dans un lieu, tantôt dans l’autre. Ce nuancier sera le référentiel chromatique de la recherche de Cloé Berthon.

 

Un volume de monotypes donne à voir un itinéraire : celui d’une traversée en train entre Paris et Marseille, comme perçue depuis la vitre. Le paysage y devient abstraction douce déformée par la vitesse, un glitch digital, une erreur de mise au point. Les couleurs du nord et les couleurs du sud glissent et se croisent au fil des pages, comme l’on glisse d’une gare à l’autre. Ce que l’on voit n’est plus le réel, mais sa persistance rétinienne, son empreinte intérieure.

 

Les mots, quant à eux, s’impriment sur une page, se lisent en suspension, infusent l’air d’un pigment blanc presque immatériel. La typographie agit comme voile, la lumière est filtrée et l’ombre des mots raconte. Imprimés en sérigraphie sur papier calque, ces gris typographiques deviennent des zones de transparence narrative où le texte se lit et se traverse. C’est d’ailleurs aussi par le blanc que Cloé Berthon nous suggère sa présence passée en ces lieux, par les traces évanescentes d’un corps absent laissées ici sous le soleil de plomb.

 

L’encre même est mémoire du territoire. Dans son approche holistique, Cloé Berthon cherche l’origine pigmentaire du paysage. Elle produit ainsi une encre de sérigraphie à partir de pierre de Vitrolles, marbre rose, concassée, broyée en pigment, évoquant à la fois la poussière des sentiers méditerranéens et la lumière rasante des fins de journée. Paradoxalement, c’est en Grès de Paris que les céramiques prolongent la matérialité chromatique du paysage.

 

L’ensemble de l’installation est à la fois une évocation des paysages provençaux, les reliefs des collines, le linge suspendu séchant aux fenêtres ; et à la fois une reconstitution d’un atelier d’imprimerie ou de reliure où chaque page de l’ouvrage en cours de production se trouve suspendue en attente d’être assemblée en un volume. Tout est relié : récit, typographie, couleur, matière, lumière.

 

RAEIRO est une œuvre de l’entre-deux : entre villes, entre nuances, entre langages. Cloé Berthon y articule une pensée du design graphique qui, au-delà d’organiser des signes et leur lecture, explore leur capacité à incarner une mémoire sensible et à composer une atmosphère. C’est un design qui touche au perceptif, au poétique.

@cloe_berthon

 

Fabrice Peyrolles 

Au croisement du design d’objet, de l’artisanat et de l’écologie critique, le travail de Fabrice Peyrolles interroge notre rapport à la matière et aux formes de vie qui l’engendrent. À travers une série d’objets entièrement fabriqués en Agave americana, plante robuste aux allures sculpturales, arrachée des abords abrupts du littoral méditerranéen. Il engage un dialogue subtil entre le geste du designer et les dynamiques contradictoires du vivant.

 

L’Agave americana, introduite dans le sud de la France au XIVe siècle, s’est installée avec vigueur dans les fissures du calcaire, jusqu’à coloniser certaines portions du Parc national des Calanques. Des campagnes d’arrachage manuel sont régulièrement menées pour restaurer les milieux naturels. Certain·e·s n’y voient qu’un désordre écologique, Fabrice Peyrolles lui perçoit une matière à révéler, une mémoire végétale à écouter et un soin porté au Vivant qui l’inspire.

 

En collectant ces fragments de paysages en tension, en les transformant dans une logique artisanale exigeante, il ne se contente pas de recycler : il reconstruit un récit. Ses objets, reprenant les standards du design d’objet, fauteuils, lampes, sont des fragments d’un monde fracturé. Ils portent en eux la trace du déracinement, de la prolifération, de la transformation lente de l’écosystème. Leur fabrication est pensée pour que l’impact environnemental soit le plus faible possible imaginant des modalités de production qui n’aillent pas à l’encontre du Vivant, mais au contraire dans le sens des actions de préservation du parc régional des calanques.

 

Il étudie les gestes anciens, aux origines de la plante — non pour les reconduire à l’identique, mais pour en saisir les logiques matérielles, les bio-rythmes, les manières d’être au monde par le faire. De l’extraction des fibres, au traitement du bois, il engage une pratique du design où la main ne domine pas la matière, mais compose avec elle. Cette intelligence située se déploie dans une économie de moyens, où chaque élément répond à l’ensemble, et où la forme naît d’un processus de compréhension matérielle et formelle. Le fauteuil Maguey condense cette approche.

 

Ce travail de réhabilitation poétique est lui-même à re-situer. Depuis peu, un insecte discret — le charançon noir de l’agave — sème le déclin de ces populations végétales. Introduit à son tour, il ronge silencieusement la plante de l’intérieur, accélérant sa disparition. Ce qui était jugé envahissant devient soudain éphémère. La matière première du projet se raréfie, et avec elle, la possibilité même du geste.

 

Dès lors, le travail de Fabrice Peyrolles s’inscrit dans un temps suspendu, celui de la disparition annoncée. En transformant une ressource contestée en artefact, il révèle la condition instable de toute matière, dans un monde fini. Ses pièces portent la mémoire d’un végétal à la fois haï et en sursis, et traduisent l’éthique d’un design attentif aux écologies blessées.

 

À rebours des logiques productivistes, Fabrice Peyrolles façonne un design du peu, du presque plus. L’objet, ici, devient vestige actif, empreinte d’un territoire où se rejouent les tensions de notre temps : entre nature et culture, artisanat et biopolitique, survivance et effacement.

 

Edda Rabold

Le travail d’Edda Rabold, designer, puise son essence dans lexploration de la matière, de ses contradictions et de ses possibles déformations. Son projet en verre soufflé, réalisé à laide de la technique artisanale de modelage de tube en verre au chalumeau, illustre à merveille son approche où lartisanat et le numérique sentrelacent pour créer des objets à la fois organiques et imprégnés des traces du processus.

 

Le verre soufflé, bien que façonné de manière artisanal, permet de réaliser des formes fluides et déformées, inspirées par des procédés numériques. Cette technique de modelage au chalumeau rend possible un jeu d’étirements et de torsions évoquant les déformations numériques obtenues grâce à la modélisation paramétrique. Le verre dans ce projet subit des contraintes physiques semblables à celles des outils numériques : il est gonflé, courbé, assemblé, interrompu. Le résultat est une série de pièces où le processus et la forme sont indissociables, chaque objet portant en lui la trace du geste de sa fabrication. L’objet part de la forme standardisée du tube comme l’on peut partir d’une forme en modélisation 3D : sphère, cylindre, pavé, cube.

 

Les déformations qui naissent du verre soufflé, loin d’être des accidents, sont au contraire les signes nous invitant à une réflexion sur la matérialité et sur limportance de limperfection dans la création contemporaine, imperfections que l’industrie et les outils paramétriques ont tentés d’effacer. Le verre ici devient un métamorphe, capable de reproduire la viscosité et la fluidité dune modélisation numérique. Chaque étirement, chaque torsion du tube de verre devient une analogie du processus numérique, où les formes sont évolutives, et où la matière elle-même semble être soumise aux lois du virtuel.

 

En vis à vis de ces prototypes verriers, Edda Rabold nous présente, en capsules vidéos, les gestes paramétriques de la modélisation 3D. Il s’agit d’une ouverture sur son atelier où le travail de la main est à l’œuvre. Cette intelligence de la main s’applique ici à la maitrise des outils et savoirs faire digitaux, aussi bien qu’aux artisanaux.  

 

Cette tension entre lartisanat et le numérique nest pas simplement technique. Elle soulève des questions profondes sur l’évolution des pratiques de création. Dans un monde où les outils numériques sont omniprésents, Edda Rabold propose une réflexion sur lobjet comme métaphore de notre époque, où lanalogique et le numérique cohabitent de manière complémentaire. Le verre soufflé devient l’endroit de rencontre entre ces deux mondes, un lieu où le geste manuel et la création numérique se rejoignent, et où la matière devient le véhicule de ce dialogue.

 

Atelier Zerma – Designer·euse infiltré.e : une pratique clandestine

Au sein de l’Atelier Zerma, le design ne s’impose pas, il s’infiltre. Il se glisse dans les interstices, détourne les dispositifs existants, adopte des formes vernaculaires pour mieux révéler les récits tus et les économies parallèles. En s’installant là où on ne l’attend pas — dans les placards d’une école, une poissonnerie, une crèche de santons, l’atelier d’un tailleur de marbre, le sac d’un livreur à scooteur ou le local d’entretiens d’un musée— le travail de l’Atelier Zerma adopte une posture critique, habilement dissidente. D’ailleurs c’est ce que nous dit le mot zerma, de l’arabe maghrébin « Zarma, za’ma », interjection argotique signifiant « soi-disant », « genre », exprimant l’ironie, le cynisme, le doute ou le détournement. Atelier Zerma, produit le design à notre insu, dans les entrailles d’une société capitaliste où la violence de classe et du travail ne dit pas toujours son nom.

 

Cette manière de pratiquer le design n’est ni solutionniste, ni universaliste, ne cherche pas non-plus à endosser l’ambition de l’innovation, ni à remplir le rôle et l’utilité sociale que lui attribue la société. Le/la designer·euse infiltré·e décentralise la place de l’auteur en devenant un·e chercheur·euse, agent complice d’une mise en récit collective, en prise directe avec les enjeux économiques, sociaux et matériels de son temps.

 

Cette posture est née de la nécessité. D’une impossibilité à séparer la recherche en design de la survie économique. Chaque projet présenté ici est aussi une réponse à la précarité du statut d’artiste-auteur et de designer : faire un diplôme tout en créant une micro-entreprise clandestine pour le financer ; transformer une exposition non rémunérée en performance salariale ; produire des objets narratifs vendus sous forme de santons pour diffuser son travail à moindre coût, soustraiter son travail au nom d’un autre, camoufler illégalement une ruche urbaine pour développer un business nomade, ouvrir la discussion entre muséographes/commissaires d’expositions et agents d’entretien au sein d’un musée dans laperspective de préservation des corps et des espaces. Autant de stratégies à fomenter, de travailleur·euse·s à incarner, autant de métier à infiltrer ; finalement l’atelier Zerma pratique et revendique le design de déformation, soit un design qu’on décide de quitter pour un autre métier et qui resurgit presque malgré soi. Chaque production réalisée, chaque métier infiltré, chaque posture endossée est documentée précisément dans une édition nous donnant les clés de lecture de cette pratique clandestine.

 

Face aux injonctions à la gratuité, à la visibilité comme monnaie d’échange, aux contrats précaires ou à leur absence, l’Atelier Zerma invente d’autres modèles : bricolés, hybrides, pirates. Le/la designer·euse devient distillateur·ice, poissonnier·ère contrebandier·ère, ouvrier·ère, apiculteur·ice ou berger·ère de mouton de poussière, selon les circonstances. À travers cette infiltration poétique et politique, la pratique du design s’affirme comme une forme de résistance, une recherche en acte, enracinée dans le réel, et tournée vers celles et ceux qui le vivent.

 

C’est un élan qui vient du dedans, une révolution subalterne.

 

 

Cloé Berthon

Nouvelle «Le Château Hermétique » (2024)
Rachilde, mise en page par l'artiste

Fabrice Peyrolles

Fauteuil Maguey (2020)
Bois d'agave, fibre d'agave
© Véronique Huyghe

Rabold Edda

I can't weld (2024)
Objets en aluminium
Table 120 x 32 cm
Artist en Résidence à La Réserve des Arts, Marseille

Atelier Zerma

Extrait collection des livres Designer.euse.s infiltré.e.s, Santon apiculteur.ice