Mamali Shafahi, Tehran et Paris

Mamali Shafahi

Heirloom Fountain, Velvet Dream est une installation de 6 x 10 x 10 mètres réalisée par Mamali Shafahi. Elle s’inscrit dans la continuité de la série Judgment Night : Daddy kills people, exposée pour la dernière fois à Téhéran en mars 2022. L’œuvre reprend le langage esthétique caractéristique des travaux récents de Shafahi, profondément ancré dans les mythes et l’iconographie de l’Iran antique, tout en introduisant une nouvelle dimension qui relie l’histoire lointaine aux préoccupations actuelles. L’installation reprend l’ensemble fontaine/bassin vu dans l’exposition de Téhéran, désormais repositionné au centre d’une large plate-forme recouverte de sable. Au-dessus, une verrière en forme de dôme, soutenue par plusieurs colonnes, s’étend au-dessus du bassin. Ce dôme est recouvert d’époxy floqué bleu Klein, une technique que Shafahi a largement utilisée dans ses œuvres récentes. La fontaine elle-même présente un corps féminin comme base, surmonté de plusieurs têtes de créatures. Ces têtes sont tirées des peintures du père de Shafahi, Reza Shafahi, et représentent quatre êtres hybrides mi-humains mi-animaux tournés vers l’extérieur depuis le centre. Suspendus aux quatre points cardinaux, des corps colorés pendent du plafond. Une tête dépasse de chaque torse. Autour de la plate-forme et dans le bassin, d’autres têtes de créatures sont éparpillées, leurs entrailles exposées.

 

Shafahi s’inspire des motifs architecturaux irano-islamiques — muqarnas (ornementation voûtée), gonbad (dôme), taaqi (arche) et salles à colonnes — évoquant à la fois la grandeur et la décadence. Cependant, on ne sait pas vraiment si cette structure est une mosquée, un mausolée, un carnaval ou une ruine. Cette incertitude résonne tout au long de Phantasmagoria, créant une tension entre l’espace sacré et le spectacle théâtral.

 

Les figures de cet univers sont hybrides, mi-animales, mi-humaines, sans être ni tout à fait l’une ni tout à fait l’autre. Des êtres inconnus semblent émerger de leur abdomen. Le spectateur peut se demander si ces personnages sont en train d’accoucher ou d’affronter la mort. Les corps suspendus peuvent suggérer une exécution par pendaison ou, si l’espace est un sanctuaire, ils pourraient servir de totems pour les ancêtres ou les émissaires de l’au-delà. Peut-être sont-ils les symboles du cycle éternel de la vie et de la mort. Shafahi brouille les frontières entre le réel et l’imaginaire. Cette ambiguïté imprègne toute la structure : le choix des couleurs, les matériaux et surtout la lueur bleue inquiétante projetée par la fontaine, tout semble synthétique, étrange et instable.

 

L’ensemble piscine/fontaine fait référence aux rituels funéraires, non seulement iraniens, mais aussi interculturels. L’eau à l’intérieur de la piscine ressemble à du sang : pas tout à fait rouge, mais d’un rose vif et fluorescent. Cette teinte inhabituelle évoque de nombreuses couches de mémoire historique, du passé (comme les cimetières de guerre en Iran pendant le conflit irano-irakien des années 1980, qui comportaient des bassins d’eau rouge sang) à des événements plus récents (comme les manifestations « Femme, vie, liberté » de 2022). La circulation de cette eau sanglante, de la fontaine au bassin et vice-versa, suggère un cycle sans fin, comme si chaque bouche saignait en silence. Sous la couche veloutée qui enveloppe les corps et les têtes, une violence persistante et lente s’infiltre. Dans cette œuvre, Shafahi aborde la manière dont la violence se répète à travers le temps, changeant de forme, sans jamais disparaître complètement. Bien que l’artiste ait été confronté à des menaces et à de l’hostilité après avoir ouvertement revendiqué son identité queer, son exploration de la violence transcende sa biographie personnelle. Dans Daddy Sperm, il a commencé par sonder la famille en tant que plus petite unité de contrôle social. Judgement Day: Daddy Kills People a élargi cette enquête pour inclure le patriarcat et la domination systémique. Avec Phantasmagoria, Shafahi prolonge son investigation en se concentrant sur la manière dont la violence se répète à travers les générations et les géographies.

 

Le cycle du mal n’est pas seulement thématique, il est incarné dans l’installation elle-même, où les changements de lumière marquent le passage du jour à la nuit et de la nuit au jour.

 

Sur le sable, dans l’eau et sur les silhouettes suspendues, Shafahi applique des pigments fluorescents. Ces pigments réagissent aux lampes UV, qui changent à mesure que la lumière du jour s’estompe et que l’espace est enveloppé par l’obscurité. Ce cycle d’éclairage renforce les thèmes centraux de l’œuvre : répétition, récurrence, transformation. Que l’on regarde sous la lumière du soleil ou sous la lueur des UV, l’atmosphère change, donnant aux mêmes formes de nouvelles résonances émotionnelles.

 

 

Mamali Shafahi

Hereditary Fountain, Velvet Dream (2022)
420x420x320cm
Résine époxy floquée
Courtesy l'artiste

Prix sur demande

Mamali Shafahi

Hereditary Fountain, Velvet Dream (2022)
420x420x320cm
Résine époxy floquée
Vue de l'installation à la galerie Dastan, à Téhéran, de son exposition solo Judgment night : Daddy kills people
Courtesy l'artiste

Prix sur demande